Chapitre 15
Il était presque 5 heures et je me préparais à aller au lit (Enfin ! Quelle longue et étrange journée !), lorsque des coups brusques furent frappés à ma porte.
— Entrez ! lançai-je en finissant de boutonner mon pyjama.
Ah… Il était tellement doux au toucher !
Après avoir ouvert la porte, Jessica passa la tête à l’intérieur et grogna en me voyant.
— Putain Betsy ! Je vais finir par t’acheter des pyjamas dignes de ce nom ! Tu n’as pas à porter ces horreurs.
— Quoi ? m’écriai-je. Il est tout neuf !
— Ah bon ? Et qu’est-ce que Sinclair en pense ?
— Je t’ai dit qu’il était neuf. Il ne l’a pas encore vu.
— Dès qu’il le verra, il annulera le mariage. Crois-moi.
— Oh ! la ferme, tu veux ?
Je m’approchai du miroir pour admirer la flanelle bleu marine parsemée de pois rouges. Les manches et les jambes étaient trop longues car je l’avais déniché dans le rayon « hommes ». J’y faisais souvent des achats à cause de ma taille. Mais après quelques lavages, on n’y verrait que du feu. Et puis, il était bien chaud.
— Tu n’es pas venue jusqu’ici pour critiquer mon pyjama. Ou du moins, je l’espère. Parce que, franchement, ça serait un coup bien bas.
— Bien sûr que non ! Quoi que… ça pourrait m’occuper une bonne partie de la nuit.
— Dit-elle alors qu’elle porte des maillots de foot pour dormir !
— Ça n’a rien à voir.
— Je crois que je préférais l’époque où tu ne me parlais plus.
— Trop tard ! Écoute, je voulais simplement vous parler avant que vous alliez vous coucher. Où est Sinclair ?
— Il s’est jeté sur l’ordinateur après le départ de la vieille méchante louve.
— Hein ? D’habitude, il compte pratiquement les secondes pour te rejoindre et le faire une dernière fois avant de dormir !
— On l’a déjà fait, admis-je. Juste après le départ de Maggie.
— Vous avez encore souillé une pièce… Maggie, c’est le vampire qu’il ne voulait pas que je rencontre ?
Je frissonnai.
— Ne lui en veux pas, Jess. Il avait raison. Elle est dérangeante. Elle a des yeux de poupée.
— De Barbie ou de poupée Corolle ?
— Vides. (En lui désignant mon visage, je tentai de décrire l’étrangeté de cette femme en moins de cinq mots.) Brillants.
— Brillants ?
Je me rendis compte qu’elle se retenait de rire. Jess n’avait jamais rencontré Nostro. En fait, après avoir lu le Livre des Morts et être passée du côté obscur de la force, j’étais le plus méchant vampire qu’elle eût jamais croisé. Autrement dit, elle n’avait jamais vu de méchants vampires dignes de ce nom.
— Elle a failli mordre Marc. Non seulement il l’a laissée l’attraper, mais en plus, il ne s’en souvient plus. Je suis sérieuse : ne t’avise pas de l’approcher !
— Eh bien, si Sinclair s’inquiète, ça me suffit. J’ai déjà bien assez d’affreux vampires autour de moi. (Elle se laissa tomber sur la chaise que je verrais toujours comme celle de Marie.) Est-ce que ça te dérange si je sors avec l’inspecteur Nick ?
— Si tu comptes le fréquenter sérieusement, tu ferais mieux de t’habituer à l’appeler seulement par son prénom.
Elle repoussa ma remarque d’un geste de la main.
— Oui, oui. Alors ?
— Aucun problème. Ça ne me dérange pas. J’ai juste été un peu surprise, c’est tout. Mais agréablement, hein ! ajoutai-je aussitôt. Sinclair a raison. Quelqu’un aurait dû te passer la corde au cou depuis longtemps.
Elle sourit légèrement.
— Oui, eh bien, personne n’a encore essayé.
— Je pensais simplement que ça faisait un bail que tu n’étais pas sortie avec quelqu’un… Le dernier, ce n’était pas dave ?
Hochant la tête, elle tritura le col de sa chemise.
— Ouais, dave avec un « d » minuscule. Je m’en souviens.
— OK. Écoute, je sais que Nick est gentil, qu’il a un bon boulot et qu’il est… à croquer, alors ne te prive pas, mais…
Je laissai ma phrase en suspens parce que ma conscience me tiraillait. Devais-je la prévenir que Sinclair ferait tout son possible pour assurer le succès de cette relation ? Qu’il était sournois et que c’était sa façon de faire ? Nick appréciait Jessica pour ce qu’elle était – ou pas, nous n’avions pas encore résolu ce problème –, mais Sinclair, lui, voyait avant tout le badge de Nick.
Ou devais-je me taire par loyauté envers mon fiancé, le roi des vampires ?
— Mais… ? insista Jessica.
— Mais… n’oublie pas de porter des sous-vêtements propres !
Elle m’observa d’un air sceptique.
— Merci du conseil.
— Je dois avouer que je suis surprise que tu aies dit « oui ».
Haussant les épaules, elle ôta une bouloche du tissu de la chaise. Elle ne tenait pas en place ce soir.
— Je ne sais pas trop. J’aime vivre avec vous ici, mais l’excitation d’être la meilleure amie de la reine des vampires ne réchauffe pas mon lit la nuit. Quand j’y suis en tout cas, puisqu’on passe toujours notre temps à cavaler dans tous les sens. Bref. Tu vois ce que je veux dire.
— Évidemment ! J’espère que ça va marcher entre vous.
— Avec Sinclair pour m’aider, comment est-ce qu’il pourrait en être autrement ?
— Je sais, j’en ai encore la chair de poule.
— Ton mec sent la métrosexualité sinistre à plein nez, acquiesça-t-elle. Il ne peut pas le nier.
— C’est une façon de voir les choses. Ah ! J’allais oublier : j’ai un nouveau boulot. Je vais écrire une rubrique pour la newsletter des vampires.
— Pardon ?
— Dingue, non ? (Me laissant tomber sur le lit, je posai le menton dans le creux de ma main, façon soirée pyjama-potins.) Tu y crois, toi ? C’est tellement pragmatique, venant de la part des vampires. Pour une fois qu’ils ne font rien qui mène à des décapitations ou des massacres d’innocents !
— Peut-être, suggéra-t-elle, qu’il s’agit d’une newsletter maléfique ?
— Génial. Comme si je n’avais pas assez de soucis comme ça. Ce qui me rappelle que…
On frappa timidement à ma porte. Je savais parfaitement de qui il s’agissait.
— Entre, Jon !
— Oooooh ! s’écria Jessica sans me regarder. J’ai oublié de te demander comment avait réagi Sinclair en apprenant qu’il avait un nouveau colocataire.
— Ce n’était pas beau à voir, marmonnai-je. Salut, Jon ! Tu tombes bien. On allait tous se coucher.
— Oui… pour tout te dire, je viens de me réveiller. C’est le seul moment de la journée où nos emplois du temps coïncident.
— Comme c’est intéressant, susurra Jessica d’une voix mielleuse, tu l’as déjà remarqué alors que tu n’es là que depuis… quand ? Hier soir ?
Debout devant ma porte, il se dandinait nerveusement, l’air mal à l’aise – et adorable.
— Ce n’est pas tout à fait le seul moment, reprit-il. Comme on est en hiver, je serai encore réveillé lorsque le soleil se couchera et…
— Jon ! Ma copine doit se préparer pour aller au lit et son fiancé sera là dans une minute. Qu’est-ce que tu veux ?
Ce n’était pas la première fois que Jessica me donnait l’impression de ne pas apprécier Jon.
— Je… euh, comme je serai en ville, j’ai eu une idée. En fait, je l’ai eue à l’école. Je suis un cours d’écriture à la fac…
— Ça te servira beaucoup à la ferme.
— Jessica ! hoquetai-je. (Qu’est-ce qu’elle avait contre les fermiers, à la fin ?) Continue, Jon. On est tout ouïe.
Je lançai un regard noir à Jess pour appuyer mon commentaire.
— OK. J’allais à la fac l’année dernière, mais j’ai arrêté pour rentrer à la maison.
— Ça, on le sait déjà…, le pressa Jessica en lui faisant signe de se dépêcher.
— Donc, aujourd’hui, je me suis réinscrit. Et un de mes nouveaux cours… L’année dernière, je suivais un séminaire qui s’appelait « Goûter à l’écriture », et cette année, je veux me concentrer sur la bio.
— Logie ou graphie ? demandai-je sans comprendre où il voulait en venir.
— Biographie.
— Tu écris l’histoire de ta vie ? demandai-je d’un air enjoué. (Génial ! Enfin quelque chose pour l’occuper et le tenir éloigné de moi. Et lui éviter d’agacer Sinclair…) Quelle bonne idée, Jon ! Tu as déjà une vie incroyable alors que tu as quoi ? Quinze ans ?
— Vingt, me corrigea-t-il sèchement. Une biographie est un livre que l’on écrit sur quelqu’un d’autre.
— Oups ! marmonna Jessica.
— Oh ! Dans ce cas… Oh ! Euh… (Clignant rapidement des yeux, je tentai d’empêcher ma mâchoire de tomber.) C’est euh… très flatteur.
— Ce serait un projet du tonnerre !
— Jon… Tu ne peux pas écrire sur elle et montrer ton devoir à tes petits camarades. On essaie de passer inaperçus, je te signale.
— Je le sais bien, répondit-il avec un entrain qui faisait peine à voir. J’en ai déjà parlé à mon prof…
— Tu as quoi ? m’écriai-je en même temps que Jessica.
— Je lui ai déjà dit qu’il s’agirait de fiction. Une histoire inventée de toutes pièces à propos d’un personnage qui n’existe pas. Il a adoré l’idée.
Alors, il passe à côté de l’intérêt du cours… pensai-je, sans faire aucune remarque pour autant.
— Franchement ! Qui y croirait, de toute façon ? « Je vais vous raconter l’histoire d’une vampire qui vit entre Minneapolis et Saint Paul. » Bien sûr que mon prof a pensé que c’était de la fiction, ajouta-t-il fièrement. Il a hâte de lire mon devoir ! Il m’a dit qu’en vingt ans, personne n’avait eu une idée pareille.
— Toi non plus, je te signale !
Passant outre à cette remarque, Jon se tourna vers moi.
— Alors, est-ce que tu veux bien le faire ?
— Faire quoi au juste ?
— Me raconter l’histoire de ta vie.
J’ouvris la bouche.
— Pas question, répondit Jessica à ma place. Bets, je te rends le plus grand service de toute ta vie, je t’assure. Je suis en train de t’éviter des tonnes d’ennuis. Je te sauve des gens normaux. Tu le sais. Pas question !
Jon lui adressa un regard assassin.
— Ce n’est pas à toi de décider.
— Tu ne dois pas aller faire la vidange d’une moissonneuse-batteuse ?
— Tu ne dois pas présider un gala de charité ?
— Ça suffit, vous deux ! rétorquai-je automatiquement pendant que je réfléchissais.
Je savais très bien où voulait en venir Jessica. Elle essayait de me faire comprendre que Sinclair allait se mettre en rogne. Un peu comme lorsque j’avais mentionné le fait que Jon allait habiter avec nous. Sa réaction ne pourrait pas être bien pire que ça.
Cette fois, Sinclair n’en aurait rien à faire. Il devait s’occuper d’affaires bien plus importantes que les devoirs de Jon. Franchement, avec des vampires comme Marjorie en ville, j’étais même surprise qu’il remarque sa présence.
Jon semblait tellement plein d’espoir… si adorable, et mignon avec son jean froissé et son tee-shirt jaune « Luke, je ne suis pas ton père ». Sans parler de ses pieds nus ! Il ne lui manquait plus que des brins de paille dans les cheveux pour compléter le tableau.
— Eh bieeeeeeeeeeen…
— Pas question !
— On pourrait peut-être essayer, répondis-je. Pour voir ce que ça donne. Juste quelques chapitres.
— Nooooooooooooooooooon ! s’égosilla Jessica.
C’est le moment que choisit Sinclair pour entrer en scène.
— Qu’est-ce qui se passe ici ?